Sunday, September 29, 2013

Le Qatar peut-il perdre la Coupe du monde ?



Au moins 44 ouvriers népalais employés sur des chantiers de construction des sites de la Coupe du monde 2022 au Qatar sont morts entre le 4 juin et le 8 août.
Au moins 44 ouvriers népalais employés sur des chantiers de construction des sites de la Coupe du monde 2022 au Qatar sont morts entre le 4 juin et le 8 août. | AFP/KARIM JAAFAR

Les accusations de travail forcé, voire d'esclavagisme, sur des chantiers au Qatarrelancent la controverse autour de l'attribution – votée par le comité exécutif de la FIFA le 2 décembre 2010 – de la Coupe du monde de football 2022 à l'émirat. D'après des documents confiés par l'ambassade du Népal à Doha au journal britannique The Guardian, au moins 44 ouvriers népalais travaillant à l'édification des sites du Mondial sont morts entre le 4 juin et le 8 août. Jeunes pour la plupart, ils ont été victimes d'attaques et insuffisances cardiaques ainsi que d'accidents sur leur lieu de travail.


Selon The Guardian, "1,5 million d'ouvriers supplémentaires doivent être recrutés pour construire les stades, les routes, les ports et les hôtels nécessaires au bon déroulement du tournoi" de football. Les Népalais comptent pour 40 % d'entre eux, et plus de 100 000 se sont rendus au Qatar l'an passé. Ils constituent la main-d'œuvre principalement employée pour l'organisation du Mondial. Au rythme actuel des tués sur les chantiers au Qatar, au moins 4 000 ouvriers pourraient mourirdans l'émirat avant même le coup d'envoi de la Coupe du monde 2022, a accusé la Confédération internationale des syndicats (ITUC) dans les colonnes duGuardian, jeudi.

"PREMIÈRE COUPE DU MONDE DANS UNE DICTATURE DEPUIS 1978"
"Ce problème du Qatar n'est que l'épiphénomène d'un ensemble beaucoup plus large, considère un diplomate. On a pu observer la présence de quasi-camps de concentration de travailleurs asiatiques dans le Golfe. Ce qui s'est passé est ignoble mais renvoie à la question du processus d'attribution de la Coupe du monde par la FIFA. Pour la première fois depuis 1978 [en Argentine], une Coupe du monde va être organisée dans une dictature. Pour la Russie, en 2018, on peutparler d'une démocratie imparfaite, voire d'un régime autoritaire, où il y a quand même des espaces de contestations civiques, comme celles des Pussy Riot. Mais, concernant le Qatar, un Etat hyper-riche, je suis étonné du silence qui entoure la prise en otage là-bas de plusieurs footballeurs français [à l'instar du Val-de-Marnais Zahir Belounis]. Le choix du Qatar pour organiser le Mondial en 2022 est préoccupant."
La FIFA a exprimé sa "préoccupation", jeudi, au travers d'une déclaration de son porte-parole. Les 3 et 4 octobre, son comité exécutif doit évoquer le dossier qatari lors d'une réunion organisée à son siège zurichois.
Choisi au quatrième tour du scrutin au détriment des Etats-Unis, le Qatar avait été désigné, le même jour que la Russie, qui organisera, elle, le Mondial 2018. "Blatter a reconnu que ce fut une erreur de voter pour l'attribution de deux Coupes du monde en même temps", glisse un ancien cadre de la FIFA. Selon lui, ce processus avait été décidé par le Français Jérôme Valcke, secrétaire général de la fédération mondiale. "Ce dernier pensait que si les partenaires économiques de la FIFA, comme Coca-Cola, connaissaient à l'avance les pays organisateurs, la valeur des contrats allaient augmenter, poursuit-il. Mais on voit que cela a été mal pensé."

DES DOUTES SUR LE VOTE
Légèrement égratigné par un rapport d'inspection qui l'avait qualifié de "dangereux pour les joueurs", l'émirat l'avait finalement emporté contre toute attente. "Le président de la FIFA est heureux, car il est question de développement de la FIFA. Nous allons vers de nouveaux pays", s'était alors félicité Joseph Blatter, le président de l'institution, heureux d'étendre la sphère de la fédération au plus petit territoire qui ait jamais organisé un Mondial.
"On peut avoir des doutes sur les votes du comité exécutif de la Fifa, précise-t-on aux portes de la fédération mondiale. Notamment ceux du Brésilien Ricardo Texeira, du Paraguayen Nicolas Leoz, du Qatari Bin Hammam [ancien rival de Joseph Blatter] et de son allié Jack Warner." Quatre anciens dirigeants exclus de l'institution pour corruption. Dans une enquête consacrée au "Qatargate" et publiée en janvier, l'hebdomadaire France Football avait clairement pointé l'implication de la France, évoquant une visite à l'Elysée, le 23 novembre 2010, du prince héritier Al-Thani.
Reçu par Nicolas Sarkozy en présence de Michel Platini, président de l'UEFA et potentiel candidat à la présidence de la FIFA en 2015, celui qui est entre-temps devenu propriétaire du Paris-Saint-Germain et a succédé à son père sur le trône aurait notamment discuté avec ses hôtes du rachat du club de la capitale. Ancien meneur de jeu des Bleus, Zinédine Zidane a, lui aussi, soutenu la candidature de l'émirat lors du scrutin de 2010. "Les dirigeants qataris ont multiplié les visites enAllemagne, à Chypre et en Turquie...", fait également remarquer un diplomate. Dès décembre 2010, The Wall Street Journal avait révélé que la Fédération argentine de football (AFA) aurait reçu 60 millions d'euros de la part de l'émirat pour lui accorder son vote. Julio Grondona, indéboulonnable patron de l'AFA et vice-président de la FIFA, avait démenti l'information.

Le cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, sa femme Moza Bint Nasser Al-Missned et Joseph Blatter, président de la FIFA, le 2 décembre dernier à Zurich.

UN MONDIAL L'HIVER ?
Autre problème, celui d'un Mondial organisé en juin-juillet dans ce pays du Golfe réputé pour ses hautes températures estivales (près de 50 °C). Joseph Blatter a notamment proposé de décaler l'événement en hiver, appelant la FIFA à être"flexible". Un principe accepté par l'UEFA. "Soit on change la date, et cela peut entraîner un chaos incroyable, car cela vient perturber le calendrier de certains championnats, comme celui du Mexique, murmure un fin connaisseur de la FIFA,soit on considère que jouer en hiver fout le bordel et on décide de revoter en faveur d'un autre pays organisateur."
"Ils doivent changer de lieu s'ils ne peuvent l'organiser en été", avait déclaré Richard Scudamore, le patron de la Premier League anglaise. "Dans l'hypothèse où la Coupe du monde se jouerait entre le 15 janvier et le 15 février, il nous faudrait déplacer onze matchs : six de championnat, trois de Coupe de France et deux de Coupe de la Ligue, cela nous empêcherait aussi de terminer la saison avant le 30 juin", avait confié dans les colonnes de L'Equipe Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel (LFP). Patron de l'Association européenne des clubs de football, l'Allemand Karl-Heinz Rummenigge s'était, lui, prononcé en faveur d'une Coupe du monde disputée en avril.

UN NOUVEAU VOTE ?
La FIFA pourrait-elle choisir de destituer le Qatar au profit d'un autre pays organisateur ? "L'idée d'un nouveau vote n'est pas encore sur la table, mais habite l'esprit de tout le monde, susurre un ex-salarié de la FIFA, satisfait que l'attribution d'une Coupe du monde dépende désormais du vote des 209 fédérations nationales. Dans cette hypothèse, quels pays pourraient alors faire acte de candidature ? Battus dans les urnes par le Qatar en décembre 2010, l'Australie et les Etats-Unis seraient alors sur les rangs." "Si la Coupe du monde 2022 devaitcommencer au milieu de notre saison, cela aurait des conséquences sur les saisons passées et futures. Les clubs, les investisseurs et les diffuseurs seraient tous affectés", avait réagi Franck Lowy, patron de la Fédération australienne de football, opposé à la tenue de la compétition en hiver.
Dans ce contexte, le "Qatargate" est devenu l'élément central de la campagne présidentielle à la FIFA. Dans un entretien donné à l'hebdomadaire allemand Die Zeit, Joseph Blatter a récemment confié qu'il y avait eu "des influences politiques directes" lors de l'attribution du Mondial 2022 à l'émirat. "Des chefs de gouvernement européens ont conseillé à leurs membres qui pouvaient voter de seprononcer pour le Qatar, parce qu'ils étaient liés à ce pays par des intérêts économiques importants", a avancé le patron du football mondial, 77 ans et en poste depuis 1998. Tandis qu'il avait assuré lors de sa réélection en mai 2011 ne pas vouloir être de nouveau candidat quatre ans plus tard, le roué helvète serait-il tenté de faire le vide autour de lui pour briguer un cinquième mandat ?
"Un premier candidat potentiel, Jérôme Valcke est l'auteur de la décision du vote d'attribution de deux Coupes du monde en même temps. Cela va être difficile pour lui, note un fin connaisseur de la FIFA. [...] Michel Platini a soutenu les Etats-Unis avant de changer d'avis en se positionnant en faveur du Qatar sous pression de Sarkozy, et en sachant que son fils travaille pour l'émirat [Laurent Platini, avocat, est chargé des intérêts européens du fonds Qatar Sports Investments, propriétaire du PSG, depuis janvier 2012]. Le président de la Fédération espagnole, Angel Maria Villar, a eu un accord avec le Qatar. Donc plusieurs candidats potentiels sont liés au choix de l'émirat. Et on sait que Blatter est très très fort politiquement. S'il a balancé un scud en parlant de pressions politiques, il pourrait tirer son épingle du jeu. En sachant qu'il attend l'après-Coupe du monde pour se prononcer et que Platini se décidera [au cours de] la compétition."

L'ENQUÊTE DE MICHAEL J. GARCIA
Le "Qatargate" pourrait trouver son épilogue lorsque l'ex-procureur américain Michael J. Garcia, président de la chambre d'instruction de la Commission d'éthique de la FIFA, achèvera son examen de l'attribution du Mondial 2022. Selon un diplomate, "tout va dépendre des conclusions de Michael J. Garcia". Ce dernier avait présenté l'hiver dernier un rapport ciblant Mohammed Bin Hammam, membre du comité exécutif de la FIFA et président de la Confédération asiatique de football (AFC). Banni à vie en janvier de toute activité liée au football, cet ancien rival de Joseph Blatter avait été suspendu par la fédération mondiale en mai 2011. Convaincu de corruption après qu'une enquête a été menée quelques heures avant le scrutin présidentiel, il n'avait pu se présenter devant le collège électoral. Blanchi et dépourvu d'adversaire, Joseph Blatter avait été alors plébiscité pour un quatrième mandat.
Le Suisse a également été dédouané par Michael J. Garcia, en avril dernier, dans le cadre de l'affaire de corruption International Sport and Leisure (ISL). Son prédécesseur, le Brésilien Joao Havelange (1974-1998), avait, lui, démissionné de son poste de président honoraire de la FIFA. Ciblé par le rapport de la Commission d'éthique, le nonagénaire aurait ainsi reçu, en compagnie de son compatriote Ricardo Teixeira, 41 millions de francs suisses de pots-de-vin de la part de ladite société de marketing. Des agissements simplement qualifiés de"maladroits" par l'intouchable et habile Joseph Blatter.

Source Le Monde

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