Saturday, August 31, 2013

Pourquoi la vache est-elle-sacrée en Inde ?

La vache en Inde est sacrée, tout le monde sait cela. Mais pourquoi vénérer un animal présumé aussi peu intelligent, qui rumine bêtement en vous regardant de ses yeux ternes ? La perspective de l'Hindou est totalement différente. Sur un plan simplement pratique, la vache, ou plus globalement le bovin, est d'une utilité extrême dans une économie encore très rurale. Même mal nourrie, elle fait preuve d'une rusticité étonnante. Elle fournit du lait à la famille.

Le réseau coopératif de collecte et de vente de lait s'est développé en Inde depuis des décennies, même dans des régions reculées. On peut voir sur les routes des vélos et des motos avec leurs bidons, collectant les surplus de production des petits paysans. Bien entendu, de grosses unités de production laitière existent également aux abords des grandes villes.
Les bovins fournissent aussi un travail appréciable dans les travaux des champs ou en tirant les charrettes qui acheminent les produits locaux vers les marchés.

Sa bouse, mélangée à de la paille séchée, confectionnée en galettes plates séchées au soleil, fournit un combustible lent adapté à la cuisson longue des aliments. Dans un pays très peuplé où les forêts ont régressé de façon considérable et où les ressources en bois sont donc insuffisantes, cet appoint énergétique est essentiel. Une partie de ces galettes est employée comme engrais naturel sur les cultures maraîchères.

Et, surprise, l'urine de la vache, utilisée depuis longtemps pour désinfecter les sols des maisons à la campagne, ainsi qu'en shampooing pour exterminer les parasites, s'est vu reconnaître officiellement des propriétés inattendues. En effet, des recherches ont établi qu'un distillat d'urine de vache renforce les effets d'antibiotiques et de fongicides permettant ainsi d'en diminuer les doses prescrites et allégeant du même coup leurs effets secondaires nocifs. Un brevet a été déposé aux Etats Unis. Cette avancée scientifique tend ainsi à valider l'emploi traditionnel de l'urine de vache ou d'autres animaux en thérapie ayurvédique.

En revanche, c'est peut-être aller un peu loin que de commercialiser, comme le fait une organisation Hindoue intégriste, de l'urine de vache en bouteille comme traitement de maux divers allant des maladies du foie à l'obésité et même au cancer...
Cependant, cette utilité de la vache ne suffit pas à expliquer pourquoi elle est sacrée. Elle joue en effet un rôle essentiel dans la mythologie : Au commencement des Temps, les Dieux et les Démons se réunirent et décidèrent d'un commun accord de baratter l'Océan de Lait Primordial afin d'en extraire le Nectar d'Immortalité (Amrita) qui assurerait leur primauté définitive. Comme baratte, ils choisirent le Mont Meru, demeure des Dieux, et le posèrent sur le dos de Kûrma, la Tortue (le deuxième avatar du dieu Vishnu). Ils demandèrent au grand serpent Vasuki d’être la corde de la baratte. Les Dieux se groupèrent d'un côté de la corde, les Démons de l'autre, et ils commencèrent le barattage. Des merveilles apparurent alors dans l'Océan de Lait, dont le fameux nectar d'immortalité. Les Dieux s'en emparèrent après une lutte féroce contre les démons, mais ceci est autre histoire...

Parmi les merveilles, sortit de l'Océan une vache miraculeuse dont le corps contenait tous les dieux : Kamadhenu, la vache céleste, dont les pis généreux fournissaient du lait en abondance à toute l'humanité.

Le visiteur sera surpris de voir, dans les villes de l'Inde, les vaches déambuler librement. Ce ne sont pas des vaches errantes. Chacune appartient à une famille. Le soir, elles rentrent au domicile ou, si ce n'est pas possible, elles restent groupées dans un angle de rue. 

Elles débarrassent les marchés des débris végétaux et contribuent ainsi au nettoyage des villes. Là où elles sont parquées, il n'est pas rare de voir une femme vendre des poignées d'herbe fraîche que des passants achètent pour les leur offrir. Cet acte est considéré comme méritoire et porteur de bon karma. Une vache dans la rue n'est jamais maltraitée, même si elle bloque la circulation. Ces animaux placides ne s'énervent pas, même au milieu des klaxons et de la circulation la plus démentielle. Parmi les diverses races qui coexistent, les vaches à bosse sont les plus belles : doux pelage et regard en amande... Dans certaines régions du sud, leurs cornes sont peintes de vives couleurs : rouge, jaune, bleu,...

Dans une ruelle étroite, elles vont leur chemin et c'est à vous de vous garer.
La plupart des hindous sont végétariens. Certains mangent du poulet et des oeufs, mais jamais de viande de boeuf. Il parait que dans un lointain passé, il n'en était pas ainsi. Seuls les Brahmanes, pour des raisons de pureté rituelle, ne consommaient pas de viande. Cette pratique s'est progressivement étendue aux différentes castes. Evidemment, les Musulmans, qui constituent 12% de la population, mangent de la viande (excepté le porc). On sait aussi que des bovins sur pied sont exportés discrètement vers le Pakistan carnivore voisin. Ces activités sont très mal vues dans les milieux des Brahmanes orthodoxes.

 Périodiquement, des pétitions intégristes demandent au Gouvernement d'interdire l'abattage des bovins sur le territoire (pratiqué par des Musulmans et des Chrétiens), sans succès jusqu'à présent. On rappellera qu'en 1857, les soldats qui servaient la britannique et très coloniale Compagnie des Indes (Cipayes) furent à l'origine d'un énorme soulèvement national contre l'occupant. Pour amorcer les cartouches dont ils se servaient, ils devaient en effet arracher avec les dents un carton enduit de graisse de boeuf et de porc. Hindous et Musulmans refusèrent d'obéir. En 1943, au Bengale, une famine tua des millions de personnes qui préférèrent mourir que de manger du boeuf. Pour la petite histoire, cette famine eut pour origine le refus du Gouverneur britannique de distribuer une partie des stocks de grains dont les silos étaient pleins, au motif qu'on pouvait craindre une pénurie.
Dans la société Hindoue, les professions liées au commerce de la viande, à l'équarrissage des peaux, au travail du cuir, sont réservés à des Intouchables.
Le respect de la vache qui nous frappe tant n'est, en fait, que l'une des manifestations de l'attitude de l'Hindou envers tous les êtres vivants : humains, animaux, végétaux (surtout les arbres) et même minéraux. En effet, la présence divine est immanente en toutes choses. Tout ce qui nous entoure porte témoignage de l'Omnipotence de dieu. Cette croyance bien ancrée modèle le sens moral et le comportement individuel. C'est peut-être pourquoi on peut observer qu'en Inde les animaux s'approchent plus près des êtres humains, car ils ne les craignent pas et c'est encore ici qu'existent des hospices pour vaches âgées.

Des économistes formés à la pensée rationnelle sont effarés par la très faible productivité du cheptel bovin indien. A quoi sert, disent-ils, de conserver tous ces animaux efflanqués ? Pour un Hindou, cette remarque est aussi incongrue que celle qui conseillerait d'abattre tous les miséreux et paysans squelettiques qui accablent l'Inde. L'interdépendance de tout ce qui est vivant constitue l'un des fondements de l'Hindouisme. La rationalité économique ne peut que s'y casser les dents.



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