Friday, August 23, 2013

La reprise en zone euro est une illusion

Le nouveau siège, en construction, de la BCE à Francfort, le 20 mars 2013.
Depuis quelques semaines, on parle de plus en plus d'un début de reprise dans la zone euro. Les indices-clés indiquant une amélioration dans les pays situés au centre de l'union monétaire seraient la preuve que l'austérité porte ses fruits. Les fonds d'investissement américains recommencent d'ailleurs, lentement il est vrai, à financer les dettes des banques européennes. Même Goldman Sachs achète massivement des titres européens. Mais est-ce vraiment la reprise ? 

Les cyniques rappellent qu'on l'attendait en Europe dès le quatrième trimestre 2010 et que, depuis lors, toutes les prévisions du Fonds monétaire international(FMI) prédisaient qu'elle surviendrait "en fin d'année".

En réalité, selon les prévisions du même FMI, en 2013, les économies de l'Espagne et de l'Italie devraient subir une contraction proche de 2 %, celle duPortugal de plus de 2 % et celle de la Grèce de plus de 4 %.


Aussi, le chômage a atteint des sommets en zone euro avec un taux moyen de 12% de la population active ; la moitié des jeunes sont sans emploi dans les pays de la périphérie, ce qui entraîne à long terme un gaspillage de talents et une érosion de la base fiscale.
CHASSE DÉSESPÉRÉE AU RENDEMENT
Encore plus significatif, la dette publique a augmenté en 2012 de 7 points de pourcentage par rapport au produit intérieur brut (PIB) en Italie, de 11 points enIrlande et de 15 points au Portugal et en Espagne. Si la stabilisation et la réduction de la dette sont les marqueurs d'une reprise grâce à l'austérité, alors les cyniques ont probablement raison de douter de la reprise.

Dans ce contexte, le retour des investisseurs américains qui apportent leurs dollars pour financer à court terme la dette des banques européennes ressemble plutôt à une chasse désespérée au rendement, qui repose avant tout sur la promesse du président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, de faire "tout ce qu'il faudra" pour sauver l'euro. Quant au jeu de Goldman Sachs avec la Bourse, les mots formulés par le gourou des marchés obligataires, Bill Blain – "acheter bon marché, vendre un peu plus cher à la hausse, puis laissertomber et s'enfuir" – viennent immédiatement à l'esprit...

Bref, il est prématuré de parler de reprise tant que les pertes engendrées par l'austérité ne sont pas épongées. Tous les pays qui ont appliqué l'austérité sansimposer de pertes aux créanciers privés ont creusé leur dette.
Selon les estimations officielles, la dette publique espagnole, qui représentait seulement 36 % du PIB du pays au début de la crise, a presque triplé, et le chiffre exact pourrait être plus élevé. Et ce sont les pays qui ont coupé le plus dans les dépenses qui ont connu le plus grand pic de rendement obligataire et dont la dette a le plus augmenté.

L'explication est simple. Quand un pays renonce à sa souveraineté monétaire, tout se passe comme si ses banques empruntaient en devise étrangère. Elles sont de ce fait vulnérables à des chocs de liquidité comme celui qui a déclenché la crise du système bancaire européen en 2010-2011. Ne pouvant pas imprimer de la monnaie pour sauver les banques ou dévaluer pour stimuler les exportations, l'Etat n'a que deux options : le défaut de paiement ou la déflation (c'est-à-dire l'austérité).
MAUVAIS DIAGNOSTIC
La logique de cette politique est que, en réduisant le fardeau de la dette et en restaurant la confiance, les coupes budgétaires favoriseraient la stabilité et la croissance. Mais quand plusieurs pays qui entretiennent des échanges commerciaux suivis l'appliquent simultanément, la demande chute, ce qui entraîne la contraction de leurs économies et l'augmentation de leur ratio "dette sur PIB".
Mais le problème posé par l'austérité dans la zone euro est plus fondamental : les responsables politiques essayent de résoudre la crise de la dette souveraine, alors qu'ils sont avant tout confrontés à une crise bancaire.

Avec un système bancaire européen trois fois plus important et deux fois plus endetté que son homologue américain, et avec une BCE qui ne dispose pas vraiment de l'autorité d'un prêteur en dernier ressort, le brusque tarissement des flux de capitaux vers les pays périphériques, en 2009, a créé une crise de liquidité trop importante pour être contenue.

Les détenteurs d'actifs libellés en euros se sont alors tournés vers la BCE pour qu'elle joue le rôle d'assureur – ce qu'elle se refusait à faire sous la présidence deJean-Claude Trichet, qui donnait la priorité au maintien de la stabilité des prix. Et les investisseurs ont intégré dans leurs calculs le risque d'un effondrement économique de la zone euro – et non le volume des dettes souveraines –, ce qui a provoqué un bond des rendements obligataires.

La tempête sur les marchés financiers a paniqué les dirigeants de la zone euro, ce qui les a conduits à poser un mauvais diagnostic et à prescrire un mauvais traitement.

La promesse de M. Draghi s'est traduite par un programme de rachat de titres de dette, une opération de refinancement à long terme et la fourniture de liquidités d'urgence, ce qui a permis de gagner du temps tout en baissant les rendements.

Mais la crise bancaire est toujours là. Les dirigeants de la zone euro doivent reconnaître que couper dans les dépenses ne permet pas de stabiliser le bilan des banques surexposées à la dette souveraine des pays périphériques. Tant que l'Europe n'abandonne pas l'austérité au profit d'une politique orientée vers la croissance, tout signe de reprise est illusoire.

(Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz) © Project Syndicate, 2013, www.project-syndicate.org

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