Wednesday, December 28, 2011

Les pirates roumains d'"Hackerville" tiennent tête aux polices du monde entier

Ramnicu Valcea (Roumanie) Envoyé spécial - Ville pleine de verdure située aux pieds des Carpates, au centre de la Roumanie, Ramnicu Valcea est loin d'être l'endroit paisible qu'on imagine en sillonnant ses grands boulevards. Dans le milieu de la cybercriminalité, on l'appelle "Hackerville".

"Il n'y a pas de quoi être fier, déclare Stelian Petrescu, un professeur de géographie. Ramnicu Valcea est sans doute la ville roumaine la plus connue aux Etats-Unis. Les Américains n'avaient aucune idée de mon pays à part la région de Transylvanie et la légende de Dracula. Mais maintenant, c'est ma ville qui est devenue la star à cause de ces jeunes qui volent sur Internet. Ici, on n'est plus à Ramnicu Valcea mais à Hackerville."

Frauder sur le Net est devenu le sport local dans cette ville que la presse américaine présente comme la "Sillicon Valley du vol sur Internet". Selon la police roumaine, 80 % des fraudes effectuées en Roumanie visent des Américains. C'est la raison pour laquelle, mercredi 7 décembre, le directeur du FBI, Robert Mueller, s'est rendu à Bucarest. Après un passage éclair au palais présidentiel et quelques mots avec le président Traian Basescu, M. Mueller a rendu visite à la police, au procureur général et aux services de renseignement.

"Les menaces les plus graves auxquelles nous sommes confrontés sont transnationales, a-t-il déclaré. Aucun pays et aucune agence ne peuvent lutter seuls contre ces menaces, qu'il s'agisse de terrorisme, de trafic de drogues ou de criminalité informatique."

Dans le quartier Ostroveni, le fief des hackers situé au sud de la ville, la nouvelle de cette visite ne provoque aucune réaction. Les descentes de police, les arrestations et les visites de journalistes venus du monde entier sont monnaie courante dans ce quartier où les habitants préfèrent tout de même garder l'anonymat.

"Mais qu'est-ce qu'on peut faire !, lance George, qui vient d'obtenir son diplôme en management. Il n'y a pas de travail ici. Le gouvernement ne parle que de crise, de diminutions de salaires et de se serrer la ceinture. J'ai 24 ans et toutes mes années à la fac, je n'ai fait que me serrer la ceinture. J'ai des amis dans le quartier qui touchent des dizaines de milliers d'euros. D'accord, ils les volent sur le Net, mais au moins, eux, ils se débrouillent. Et moi, je dois travailler toute ma vie pour rien. Que feriez-vous à ma place ?"

Malgré les nombreuses arrestations opérées par la police ces dernières années, Ramnicu Valcea reste une plaque tournante de la criminalité informatique dont les tentacules s'étendent sur plusieurs continents. Au début des années 2000, les jeunes de "Hackerville" étaient assez naïfs pour communiquer à leurs victimes leurs numéros de compte en Roumanie, ce qui permettait à la police de les localiser rapidement. Aujourd'hui, la donne a changé. La discrétion est de mise et l'effacement des traces est devenu un art.

Les hackers ont intégré des réseaux transnationaux très bien organisés et utilisent souvent ce qu'ils appellent des "flèches". Une "flèche", c'est un intermédiaire dont la mission est d'ouvrir un compte dans le pays où il se trouve. Il reçoit sur son compte l'argent que les victimes paient sur le Net pour acheter un produit ou un service qui n'existe pas, retient pour lui un pourcentage et vire le reste sur le compte d'une autre "flèche" dans un autre pays. Et ainsi de suite jusqu'à la dernière "flèche" qui transmet la somme finale au cerveau de l'opération.

Dans le centre de Ramnicu Valcea, on peut voir plus d'une vingtaine de bureaux de la société Western Union, spécialiste du transfert d'argent. Un vent de prospérité souffle sur la ville. Les clubs et les bars où les hackers passent leurs nuits ont poussé comme des champignons. En 2010, à Budesti, petit village situé à l'entrée de la ville, Mercedes-Benz a ouvert sur 2 700 m2 un salon d'autos dernier cri. Les hackers raffolent d'Audi et de BMW.

Apparemment, les descentes régulières de la brigade spéciale "Vlad l'Empaleur" de la gendarmerie roumaine n'ont aucun effet. La dernière, qui a eu lieu le 22 novembre, concernait plusieurs villes, dont Ramnicu Valcea. "Vingt-cinq personnes, de 18 à 35 ans, ont été arrêtées pour avoir provoqué un préjudice de 120 000 euros à des citoyens américains, suisses, français, autrichiens et allemands, affirme le procureur Danusia Boicean. Ils avaient mis en place de fausses enchères sur le site eBay pour vendre des produits électroniques, des voitures et même des tracteurs."

En juillet, la police roumaine et des officiers du FBI venus en renfort ont arrêté 23 hackers qui avaient réussi à escroquer un millier d'Américains à hauteur de 20 millions de dollars (15,3 millions d'euros).

"Finalement, par ces temps de crise, ces types réussissent à faire entrer des devises fortes en Roumanie. Il faut quand même admettre qu'il y a un aspect positif dans leur démarche", note George. Encore un peu et les hackers passeraient pour des patriotes. George n'a pas encore basculé dans leur camp, mais il semble très attiré.

La réussite affichée, les hackers de Ramnicu Valcea attirent les jeunes comme un aimant. Leur influence se ressent jusqu'à Dragasani, petite ville située à une centaine de kilomètres au sud. Ici, comme dans "Hackerville", les voitures de pointe se sont multipliées, signe que de plus en plus de jeunes se "convertissent". Mais le FBI a déjà formé plus de 600 policiers roumains pour endiguer ce fléau. George en sourit et montre du doigt une citation de Sénèque collée au-dessus de son ordinateur : "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles." Parole de futur hacker ?

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