Wednesday, September 21, 2011

Karachi : avec Bazire et Gaubert, la justice touche au "premier cercle" sarkozyste


Les investigations autour de l'affaire Karachi mènent au financement de la campagne d'Edouard Balladur en 1995, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole.

L'affaire de Karachi connaît une accélération avec l'audition par la justice, mercredi 21 septembre, de deux très proches de Nicolas Sarkozy, Nicolas Bazire et Thierry Gaubert. Le premier a été placé en garde à vue, et le second, après avoir été présenté au juge Van Ruymbeke a été mis en examen et laissé libre. Or, tous deux sont des proches de longue date du chef de l'Etat. Explications.

1/ Qui sont ces deux hommes ? Nicolas Bazire dirige actuellement la holding privée du groupe LVMH et siège à son conseil d'administration. Il fut le témoin de mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Avant cela, il était surtout connu comme ancien directeur du cabinet d'Edouard Balladur et directeur de de sa campagne présidentielle en 1995. Le financement de cette campagne est dans le collimateur de la justice.

Thierry Gaubert a été chef adjoint du cabinet de M. Sarkozy lorsque celui-ci était ministre du budget, entre 1993 et 1995. Il fut également l'un de ses principaux collaborateurs à la mairie de Neuilly. Eloigné de Nicolas Sarkozy depuis la fin des années 1990, il reste très proche de Brice Hortefeux. Il fut l'époux de la princesse Hélène de Yougoslavie, figure mondaine qui pourrait avoir évoqué devant les juges des élements compromettants, selon le Nouvel Observateur.

Nicolas Bazire et Edouard Balladur sur le plateau de l'émission "L'heure de vérité", en 1995.


2/ Que leur reproche la justice ? On ne connaît pas, pour l'heure, le motif précis du placement en garde à vue de M. Bazire. Mais, au coeur de toute cette affaire, se trouve la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 et son financement, qui paraît de plus en plus irrégulier. Si les comptes de campagne de l'ancien premier ministre ont été validés, à l'époque, par le Conseil constitutionnel, plusieurs témoins ont fait état d'irrégularités et, notamment, du dépôt de fortes sommes en liquide, dont la provenance reste incertaine. Sept millions de francs seraient ainsi apparus sur les comptes de manière potentiellement frauduleuse.

Au coeur de l'été, un témoin a permis d'écarter la piste d'un financement par les fonds secrets en liquide dont disposait alors Matignon. Cela accrédite la piste d'une autre source, qui pourrait être celle des rétrocommissions.

3/ Quel lien avec l'affaire de Karachi ? Ces fonds pourraient provenir de rétrocommissions issues de contrats d'armements avec le Pakistan et l'Arabie Saoudite. Ces ventes donnaient lieu à des commissions légales à destination d'intermédiaires, et la justice soupçonne qu'une partie de ces sommes d'argent ait pu revenir illégalement en France.

Le principal intermédiaire de ces ventes (contrats "Agosta" pour des sous-marins au Pakistan et '"Sawari II" pour de frégates à l'Arabie saoudite) se nomme Ziad Takieddine. Il est proche d'une partie des ténors de la majorité. Le site Mediapart a publié une série de photos de vacances où on le voit en compagnie de Jean-François Copé ou Brice Hortefeux. Claude Guéant a reconnu en lui un intermédiaire, notamment pour se rapprocher de la Libye de Mouammar Kadhafi. Il est mis en examen, ses biens ont été saisis, et une enquête est menée contre lui pour fraude fiscale.

L'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, le 14 septembre 2011 à Paris.



3/ En quoi est-ce relié à l'attentat survenu au Pakistan en 2002 ? Les commissions versées aux intermédiaires des ventes de sous-marins et de frégates, d'un montant respectivement de 33 et de 200 millions d'euros, ont été interrompues à partir de 1996 par les chiraquiens, arrivés au pouvoir. L'hypothèse retenue par la justice serait celle d'une vengeance des intermédiaires pakistanais qui bénéficiaient de ces commissions. Les chiraquiens auraient voulu couper le versement des commissions, étalé sur plusieurs années, avant tout pour priver leurs ennemis balladuriens de ces sommes.

Mais, toujours selon cette hypothèse, qui n'est pas prouvée ni validée, les commissions – qui étaient alors encore légales – allaient à une série d'intermédiaires au sein de milieux militaires et du renseignement au Pakistan. Ces personnes auraient pu déclencher l'attentat qui a tué 14 personnes, dont 11 membres français de la Direction des constructions navales (DCN).

>> Voir notre infographie : "Comprendre l'affaire Karachi en trois minutes"

4/ Que change cette audition ? Le fait que deux proches de Nicolas Sarkozy soient ainsi auditionnés pose question. Selon des informations de presse, l'ex-épouse de M. Gaubert aurait évoqué des "valises de billets" que son époux aurait raportées de Suisse et qui auraient été confiées ensuite à M. Bazire. Ces informations, non confirmées, posent question.

L'audition des deux témoins montre que la justice se rapproche du chef de l'Etat. Pour l'avocat des familles de victimes de l'affaire Karachi, Me Morice, "il va de soi et il est certain que si Nicolas Sarkozy n'était pas actuellement président de la République, il serait entendu parce que les pistes mènent vers sa responsabilité".
Samuel Laurent.

Comment Kadhafi aurait-il pu financer la campagne de Sarkozy?


Nicolas Sarkozy accueille le colonel Kadhafi à son arrivée au palais de l'Elysée, le 10 décembre 2007, pour une visite officielle de 5 jours en France.

REUTERS/Pascal Rossignol
Au-delà de la véracité de l'histoire avancée par Saïf al-Islam, fils du dictateur libyen, LEXPRESS.fr a cherché à savoir par quels moyens un régime étranger pouvait aider un candidat français.

On allait voir ce qu'on allait voir. Le régime de Kadhafi avait promis de lâcher un "grave secret" sur l'élection de Nicolas Sarkozy, un secret susceptible d'entraîner sa chute. Ce mercredi, on a vu. Enfin presque.

Selon le fils du dictateur, Saïf al-Islam, la Libye aurait financé la campagne présidentielle de l'actuel chef de l'Etat: "Il faut que Sarkozy rende l'argent qu'il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. C'est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve."

Les preuves justement n'ont toujours pas été publiées, rendant toutes vérifications impossibles. Saïf al-Islam affirme pourtant qu'il est "prêt à tout révéler. [...] Nous avons tous les détails, les comptes bancaires, les documents, et les opérations de transfert. Nous révélerons tout prochainement."

En attendant les "révélations" du régime libyen, on peut s'interroger sur la possibilité pour un Etat étranger de financer la campagne d'un candidat français. L'article L52-8 du code électoral y répond clairement: "Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger."

Cela est d'ailleurs valable pour toute personne morale, à l'exception des partis politiques, seule entité à pouvoir financer un candidat. Sans aucune limite.

D'importants efforts pour pas grand chose

En revanche, rien n'empêche une personne physique étrangère de verser de l'argent à un présidentiable français, explique la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). A condition qu'il respecte les limites: 7500 euros par parti et par an. Ou 4600 euros par élection. Par élection, et non par candidat.

Conclusion: Tripoli n'a pas pu financer la campagne de Nicolas Sarkozy. A moins de passer par des particuliers. Admettons que la somme atteigne 100 000 euros -une somme franchement ridicule compte tenu du budget d'une campagne présidentielle, 20 millions d'euros en 2007 pour l'UMP. Pour verser légalement ces 100 000 euros, il faudrait trouver 22 volontaires. Cela représente beaucoup d'efforts pour une somme ridicule.

A moins de passer par des moyens détournés. En arrosant des micro-partis, qui financeraient ensuite la campagne. Pour verser 100 000 euros, il faudrait alors faire des dons de 7500 euros à 13 formations politiques, qui reverseraient ensuite à leur parti satellite ou directement au candidat. De tels mouvements n'apparaissent à aucun moment dans le rapport 2008 de la CNCCFP.

Reste enfin les filières clandestines. Mais cela est une autre histoire.

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