Friday, June 03, 2011

Drague, harcèlement : où est la limite ?


“Le harcèlement est un délit très subjectif ; tout dépend de la sensibilité de chacun”, selon Me Bentolila.



Coup sur coup, les justices américaine et française se sont emparées de deux affaires combinant sexe et politique. Un cocktail détonnant qui invite à repenser les relations homme-femme. Jusqu’où pouvons-nous aller dans nos petits jeux de séduction ?
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Il n’y a pas que le sexe dans la vie. Certes, mais depuis plusieurs jours, il n’aura échappé à personne qu’il y en a une bonne dose dans l’actualité. À l’intersection des rubriques politique et faits-divers. Première "sex-bomb" : Dominique Strauss-Khan, alors directeur général du Fonds Monétaire International, et candidat PS putatif le mieux placé pour remporter la prochaine élection présidentielle, se retrouve inculpé par la police new-yorkaise pour divers "sex crimes" dont une tentative de viol sur une femme de ménage, employée du Sofitel de Times Square. Deuxième déflagration : Georges Tron, secrétaire d’État à la Fonction Publique, est à son tour accusé de harcèlement sexuel et d’agression du même genre. Jusqu’à preuve du contraire, ces deux personnalités politiques sont présumées innocentes. Dans l’affaire DSK, le déballage sur d’autres comportements - caractéristiques du harcèlement - n’a pas tardé à remonter à la surface. Plusieurs cadres du parti socialiste (dont Pierre Moscovoci ou Elisabeth Guigou) sont intervenus pour défendre un homme certes séducteur, libertin, volage mais en aucune façon violent. Quel qu’en soit le dénouement judiciaire, ce genre d’affaires invite à repenser le rapport homme-femme, les relations entre le "sexe fort" et le "sexe faible", au bureau comme en boîte de nuit ou dans une salle de gym. À localiser la frontière ténue qui sépare la drague acceptable du harcèlement sexuel, délit le moins "grave", figurant dans le code pénal (Art 222-33 c.p) à la section des agressions sexuelles.

PROMOTION CANAPÉ

Pour le vice-procureur du tribunal correctionnel de Saint-Denis, Dominique Auter, la qualification des faits reste souvent périlleuse. Et malgré la nouvelle rédaction de cet article, elle reste plus aisée lorsqu’il y a dans le dossier “un rapport de hiérarchie, le pouvoir de faire pression” et “un marchandage tendant à améliorer (hypothèse de la promotion canapé) ou le plus souvent dégrader progressivement les conditions de travail (mesures de rétorsion, surcharge de travail, humiliation publique) contre des faveurs sexuelles”. La démonstration est facilitée quand les conditions de travail changent après réception de plusieurs mails ou de SMS suffisamment clairs quant aux viles intentions de son rédacteur. Les témoignages sont souvent rares. “Les actes de drague (aussi lourds soient-ils) ne suffisent pas toujours, précise le magistrat. On ne peut pas empêcher quelqu’un d’être amoureux ! La modification des conditions de travail peut alors faire la différence. Si ce n’est pas le cas, on reste dans le batifolage. De simples accusations ne me suffisent pas. Il faut du concret”. Reste que parfois les situations sont ambiguës. Avant de se sentir harcelée, une personne peut, face à des assauts répétés, se sentir un temps flattée. “La limite est franchie, selon le représentant du ministère public, lorsque le demandeur, d’une manière ou d’une autre, passe outre le refus de la victime.” Me Cécile Bentolila a plaidé récemment dans une affaire de ce genre. “C’est un délit très subjectif, analyse-t-elle. Tout dépend de la sensibilité de chacun, du ressenti de chaque personne. Mais souvent les filles ont peur quand elles ont commencé à accepter”. À l’association Ni Putes Ni Soumises (NPNS), les bénévoles sont plus habitués à gérer les problèmes de violence conjugale ou de viol dans le couple que les cas de harcèlement. “Les hommes ont des comportements souvent déplacés, estime Sandra Gence, vice-présidente de l’association. On voit rarement une femme harceler un homme.” On n’en voyait pas souvent déposer plainte non plus pour ce chef d’inculpation. Mais depuis qu’une femme de ménage a osé affronter un des hommes les plus puissants de la planète, la donne pourrait changer

Yoann Guilloux

- Peine du harcèlement Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. (Article 222-33 du code pénal)

- Faute grave au travail L’article L1153-1 du code du travail alinéa premier le définit come suit : “Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits. L’alinéa suivant précise : “Aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire (…) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.” Le harcèlement est aussi constitutif d’une faute grave pouvant entraîner le licenciement de son auteur.

- Une femme sur cinq concernée Les violences sexistes et sexuelles se répartissent entre 56 % d’agressions sexuelles, 20 % de harcèlement sexuel, 14 % de viols et 10 % de discrimination sexiste (essentiellement au sujet de la maternité). 90% des femmes qui travaillent hors du foyer subiront du harcèlement sexuel à un moment ou à un autre de leur vie de travail. 49% des femmes qui sont sur le marché du travail ont déjà subi des attentions sexuelles non désirées. Statistiques émises par l’Association contre les violences faites aux femmes au Travail (AVFT).

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