Friday, September 26, 2008

Vers une crise économique mondiale ?




La crise financière américaine déclenchée par les défaillances relatives aux crédits immobiliers hypothécaires à risque (subprime) peut-elle déboucher sur une récession d’envergure aux USA et ensuite sur une véritable crise économique mondiale ? Pour tenter de répondre à cette question, nous traiterons successivement de l’accélération depuis 1975 de la « mondialisation » du capitalisme occidental, de la crise financière américaine actuelle et de ses possibles développements, d’autres facteurs potentiels de crises économiques US et mondiale, des probabilités, des délais d’occurrence et dangers de celles-ci.

I)L’accélération de la « mondialisation » depuis 1975
La décennie 70 a été un tournant décisif pour une nouvelle étape d’extension planétaire de la domination économique du capitalisme occidental
a) Au milieu des années 60, le capitalisme occidental atteint une sorte d’apogée de ses taux de profit (24 % aux USA, plus de 20 % en Europe), puis ceux-ci amorcent ensuite une chute brutale qui les aura divisés quasiment par deux au début des années 80. Les raisons en sont multiples : l’importante accumulation de capital depuis la fin de la guerre rend plus difficile le maintien du taux de profit (baisse tendancielle), le coup d’arrêt partiel au pillage des richesses pétrolières de 1973 (bien visible sur le graphique), la combativité sociale forte obligeant le capital à partager les gains de productivité.

b) 1975 donnera le signal de la contre-offensive dite néolibérale du capital occidental mondialisé, destinée, d’une part, à modifier en profondeur en sa faveur le partage de la valeur ajoutée, et d’autre part, à étendre planétairement au maximum les espaces économiques où il pourra générer des profits. « L’affaissement » du « camp socialiste », jusque là modèle pour nombre de « pays du Sud », lui ouvrira la voie, politique et économique, pour y parvenir.
Les principaux moyens employés sont maintenant bien connus :
Hausse brutale des taux d’intérêt de 1979, explosion de la dette des pays du « Sud » et politiques « d’ ajustement structurel » ;
Forcing tendant à imposer à un maximum d’Etats des accords internationaux garantissant au capital mondialisé occidental la liberté d’investir et de rapatrier les profits correspondants, la liberté de circulation des capitaux, le libre échange des marchandises, avec en corollaire la pénétration en Chine, Inde, dans les pays de l’Est européen découlant de leur virage en faveur du capitalisme néolibéral, à partir des années 80 et au début des années 90.
Fortes pressions sur le coût direct du travail et pour le recul des acquis sociaux pour déplacer en faveur du capital le partage de la valeur ajoutée créée. Pour la France, rappelons que ce déplacement, initié au début des années 80 par la politique de rigueur Mitterrand- Mauroy, équivaudra à près de 10 % de la valeur ajoutée. Elévation forte du taux de rentabilité exigé sur tout investissement en capital (exigence en moyenne d’un taux de l’ordre de 15%).
Confiscation quasi-totale par le capital des spectaculaires gains de productivité induits par la révolution informationnelle (incidence négative sur l’emploi, annexion idéologique abusive de celle-ci pour justifier et présenter comme allant de soi la dérégulation mondiale).
Les résultats vont être à la hauteur de l’ampleur de l’offensive, redressement spectaculaire du taux de profit à 18, 20 % (voir graphique), énorme accumulation de capital, mais ils induisent de nouvelles contradictions. Le taux de profit faiblit à nouveau et il devient de plus en plus difficile de trouver dans l’économie réelle des taux de rentabilité réelle à 15 %, sauf dans quelques activités très innovantes ou dans des pays à très bas salaires comme la Chine, l’Inde, etc. Du même coup, une part importante des capitaux disponibles s’est orientée vers la spéculation financière et les actifs financiers ont gonflé démesurément et artificiellement. Seul un tiers de ces actifs est investi en actions d’entreprises productives. Une véritable pyramide financière spéculative, d’une opacité certaine, s’est ainsi édifiée (rôle des « golden boys, traders »).

II) La crise financière US récente des crédits immobiliers à risque (« subprime »)
Aux USA, cette spéculation financière a visé successivement plusieurs domaines : les activités internet avec formation d’une « bulle » financière qui a explosé en 2001, puis les activités pétrole et matières premières, les achats -restructurations d’entreprises et l’immobilier où le déchaînement de la spéculation à la hausse du prix des maisons a créé une nouvelle bulle financière.
Le dynamisme de la construction immobilière a été alimenté massivement par le crédit hypothécaire. Les offres de crédit hypothécaire à risque (pas d’apport initial, pas de vérification des ressources, taux attractifs au début, s’accroissant fortement par la suite (jusqu’à 18 à 20 %), avec des pénalités très fortes en cas de défaillance, ont été cyniquement proposées à des gens très modestes (minorités ethniques notamment), ne mesurant pas réellement les engagements qu’ils prenaient, les bailleurs de crédit sachant dès le départ que les emprunteurs ne pourraient pas tenir leurs engagements, que leurs maisons seraient saisies et vendues, et dans la perspective de recommencer.
Les défaillances inévitables ont abouti à ce que 500.000 américains sont en train de perdre leurs maisons.
Le processus va continuer en 2008 et il y a de fortes inquiétudes sur l’ampleur qu’il pourrait prendre. Ces créances hypothécaires ont été « titrisées », ç. à d. transformées en titres financiers revendus sur le marché financier mondial et acquis par de nombreuses grandes banques américaines et européennes. Devenus quasi invendables, ces titres ont conduit les dites banques à déclarer d’importantes pertes financières, dépassant souvent les 3 à 4 milliards d’euros (9 milliards de $ pour Merryl Lynch). Les conséquences concrètes sont déjà significatives. La construction, secteur d’activité important aux USA, a vu les ventes de maisons neuves reculer de 30 % depuis Octobre 2006. Du même coup les perspectives de croissance du PIB pour 2008, déjà affaiblies ont encore reculé et oscillent entre 1% et 2% (estimation FMI).
On se rapproche donc de la récession. Par ailleurs, les discours néolibéraux lénifiants du début (« crise limitée, les fondamentaux restent excellents », etc.) ont fait place aux déclarations beaucoup plus alarmantes d’un Bernanke, patron de la Banque centrale US : « les ravages de la crise des subprime dépassent les prévisions les plus pessimistes ».

III) L’état réel de l’économie américaine
Celui-ci est très contrasté. Les USA demeurent la première puissance économique, leur croissance tire en avant l’économie mondiale, mais cette croissance devient de plus en plus artificielle. Elle est mue essentiellement par celle de la demande interne, mais celle-ci ne repose pas sur une progression des salaires qui, au contraire stagnent vu les pressions néolibérales sur le coût du travail, mais sur l’endettement des ménages qui n’a cessé de croître ces dernières années (absence d’épargne), ce qui rend l’édifice de plus en plus fragile. Par ailleurs, le moloch US exige qu’on lui enfourne de l’extérieur plus de 20 milliards de $/jour pour financer notamment son déficit commercial considérable, les annuités de son énorme endettement extérieur et le coût exorbitant des interventions militaires actuelles. I. Johsua, dans un article récent (Le Monde 9/10/07) parle des USA comme « d’une puissance sur le déclin ». Je crois qu’il faut nuancer le propos. L’économie américaine reste potentiellement très dynamique, capable de réorientations ou de mutations rapides, mais elle est, à l’heure actuelle, littéralement « étouffée » par la logique capitaliste néolibérale.

Paradoxalement, les USA sont le pays qui a peut être le plus besoin de faire reculer cette logique, mais qui a le moins de chances politiques d’y parvenir, sauf crise économique d’envergure (situation type crise de 1929 et New Deal). Mais qui dit crise économique d’envergure aux USA, dit aussi crise économique mondiale vu l’importance des interconnections de toutes sortes (ex. croissance chinoise accrochée aux exportations, notamment aux USA ; en cas de baisse de la demande de matières premières et donc de leur prix, crises dans nombre de pays du « Sud », risques d’édification de barrières protectionnistes d’urgence accélérant une spirale récessionniste globale, etc.)

IV) Les autres facteurs de crise (US et mondiale)
Par ailleurs, d’autres facteurs de crise économique globale, échappant largement au contrôle du capitalisme occidental, se renforcent. Le premier est celui de la forte probabilité dans les années à venir (avant 10 ans en tout cas) du décrochage offre - demande mondiale pour le pétrole, entraînant une pénurie physique de cette matière première stratégique et un envol incontrôlé de son prix. Une intervention militaire contre l’Iran pourrait accélérer les choses.
Faute d’une gestion internationale, fort improbable, de cette situation, cela peut déboucher sur une situation d’affrontement géopolitique, potentiellement militaire. Par ailleurs, en 2004, le FMI avait chiffré l’impact économique négatif d’un prix à 80 $/baril pour les pays occidentaux à 1 à 2% du PIB. Avec un envol possible du prix à 150/200 $/baril, l’impact pourrait être de 2 à 3 % du PIB et signifier une entrée en récession des dits pays occidentaux.
Par ailleurs, la course de la Chine au rang de première puissance mondiale la met sur une trajectoire d’affrontement à terme avec les USA, comme avec l’UE. Elle a fait le constat que si elle avait les excédents commerciaux, d’autres avaient les profits et paraît bien décidée à corriger cette situation. Par ailleurs, si elle continue actuellement à acheter des $ pour maintenir la parité Yuan - $, la compétitivité de ses produits aux USA et l’accroître en Europe, elle veut se dégager d’une excessive dépendance à l’égard de ses exportations aux USA. Elle a notamment pour cela créé fin septembre un fonds d’investissement d’Etat qui serait doté de 900 milliards de $ dès 2009, chargé d’acquérir des groupes stratégiques dans les pays occidentaux et aussi de générer de nouvelles ressources en devises. On peut compter sur les USA pour bloquer ces tentatives et l’UE s’apprête à faire de même (concertation Merkel - Sarkosy cet été à ce sujet), les deux violant alors allégrement la liberté d’investir qu’ils prônent pour eux mêmes. C’est en tout cas une stratégie potentiellement déstabilisatrice pour les USA, voire pour l’UE, qui risquent de répliquer par des mesures protectionnistes. On a là un autre facteur de crise majeur.

V) Probabilité d’une crise économique mondiale, délais et dangers
La probabilité d’occurrence d’une telle crise nous paraît très forte au cours des 10, 15 ans à venir pour les diverses raisons structurelles citées ci-dessus, mais être plus précis nous paraît très difficile vu la complexité du problème posé qui entremêle à l’échelle planétaire flux économiques, financiers (l’opacité de la sphère financière aggravant les difficultés), données géopolitiques et positionnements stratégiques des Etats, luttes sociales et politiques. Toutefois, mais c’est une opinion assez subjective, je ne crois pas que la crise des crédits immobiliers américains soit, à elle seule, susceptible d’engager les USA dans une récession d’envergure dès 2008, mais elle peut se conjuguer avec d’autres facteurs type prix du pétrole et crise iranienne et des indices inquiétants d’extension possible sont apparus récemment.
Par contre, les 5 à 10 ans à venir, me paraissent être la période de tous les dangers. Il n’est pas en effet réaliste de penser que, dans ce laps de temps, des alternatives nationales, régionales et planétaires de dépassement de la logique capitaliste néolibérale (1) auront pu acquérir un poids politique suffisant auprès des peuples. Toute crise économique mondiale survenant pendant cette période, avec son cortège d’affrontements sociaux, politiques, risque dès lors d’être gérée par le capitalisme occidental selon ses dérives habituelles, déjà connues historiquement : régimes autoritaires, voire dictatures, nouvel essor du couple terrorisme -répression, interventions militaires, barbarie à l’égard des peuples du « Sud ». Dans le cadre de la relance actuelle de la course à des armements toujours plus sophistiqués, on peut s’attendre au pire.
La responsabilité des forces progressistes à tous les échelons, national, européen, planétaire dans la promotion d’alternatives est donc considérable. C’est le visage de l’humanité future, voire même son avenir qui sont en jeu.

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La crise économique connaît de nouveaux rebondissements, de nouvelles faillites ayant eu lieu. Utilisant l’argent du contribuable pour combler les pertes, le Trésor américain annonce un plan de 700 milliards de dollars. Mais la crise n’est pas finie.
Crise financière et crise réelle continuent à cheminer côte à côte, mais de plus en plus étroitement imbriquées. Une fois c’est l’une, une fois c’est l’autre qui prend la vedette. Il y a quinze jours, c’était la crise réelle qui tenait le devant de la scène, avec un monde développé en récession. Désormais, c’est la crise financière qui passe au premier plan. Elle progresse suivant toujours le même axe : l’effet domino, où chaque pièce qui tombe en entraîne une autre à sa suite. Après Fannie et Freddie, les deux géants du refinancement hypothécaire américain, la banque d’affaires Lehman Brothers ; après Lehman, la compagnie d’assurance AIG (qui était, il n’y a pas si longtemps, numéro un mondial) ; après AIG, la banque anglaise HBOS, rachetée en catastrophe par la Lloyds TSB.
Mais l’effet domino a élargi son cercle et concerne de nouveaux acteurs, qui ne sont plus directement liés au marché hypothécaire américain. La chute de Fannie et Freddie s’explique évidemment par l’effondrement de ce marché. Tel est encore le cas de Lehman, fortement impliqué dans le crédit immobilier aux États-Unis. Les choses changent déjà avec la banque anglaise HBOS, tombée parce qu’elle est le plus gros prêteur immobilier, non pas aux États-Unis, mais en Grande-Bretagne. Le glissement est encore plus net avec AIG, dont le lien au marché hypothécaire n’est qu’indirect.
Nous en sommes même arrivés à un effet domino qui anticipe son propre mouvement. Une fois un domino tombé, les acteurs de la finance cherchent quel sera le prochain, persuadés qu’il y en aura un. Chaque fois qu’une victime est désignée, la meute de loups l’entoure, l’isole, fixant sur elle des yeux de braise, attendant qu’elle tombe pour la dépecer, tout en se lamentant sur la crise effroyable. La logique de la crise financière est désormais auto-entretenue.
Le plus grave, c’est qu’à côté de l’effet domino, il y a un effet ping-pong, où sphère financière et économie réelle se renvoient la balle. Tel commence à être le cas de l’économie réelle à la sphère financière, parce que la dégradation de l’activité économique rend insolvables des emprunteurs, même en dehors du marché hypothécaire. Mais tel est surtout le cas de la sphère financière à l’économie réelle. La cascade d’effondrements financiers ne peut qu’accentuer la restriction du crédit bancaire, déjà bien entamée. Et les retombées négatives de ces effondrements vont bien au-delà de ce seul volet. Ainsi, la chute de Lehman a un impact psychologique désastreux, mais elle va également frapper les autres établissements qui lui ont prêté de l’argent, qui ne peuvent plus rentrer dans leurs fonds et seront, de ce fait, soupçonnés à leur tour ; enfin, la liquidation des actifs de Lehman, jetés sur les marchés pour sauver quelques sous, va contribuer à dégrader encore un peu plus les cours.
Plan d’urgence
Il ne fait pas de doutes que ce jeu de ping-pong va aggraver la crise réelle commençante. En une dizaine de jours, la probabilité d’une crise mondiale s’est nettement accrue. Mais une autre possibilité est maintenant ouverte : celle d’un effondrement en cascade de l’ensemble du système financier mondial. Jusqu’à présent guère concevable, cette hypothèse a gagné en crédibilité avec les événements récents, tout en n’étant toujours pas la plus probable. La déflagration sera sans doute évitée, mais il est désormais clair que la crise proprement financière est installée pour longtemps.
Confrontées à la violence du tremblement de terre, les boussoles s’affolent. Et les autorités publiques s’empressent de voler au secours du capital, comme elles l’ont fait avec Fannie et Freddie, puis à nouveau avec AIG. On nous a longuement et doctement expliqué que les marchés s’équilibraient eux-mêmes, et qu’il ne fallait surtout pas intervenir, ni perturber leur fonctionnement. Mais, dès que le système de profit est menacé, les beaux discours sont jetés aux orties, littéralement piétinés, et il ne reste plus que la réalité toute crue de la défense du fric. Et certains de se réjouir de cet interventionnisme, contradiction en actes du libéralisme ambiant. Est-ce là toute la leçon que l’on peut tirer de la catastrophe imminente ? Le système capitaliste lui-même n’a-t-il pas démontré sa nocivité, l’effroyable capacité qu’il a d’entraîner avec lui toute l’humanité aux abîmes ? L’appel à l’État pour couvrir les pertes d’aujourd’hui et garantir les profits de demain change-t-il quoi que ce soit ?
Manifestement non, c’est une façon de sauver ce qui peut l’être du néolibéralisme. Il n’est pas question de nous contenter d’un tel discours. En réalité, le contraste est saisissant entre la rapidité avec laquelle la crise progresse et le ronron de la gauche « de gouvernement » où, s’il arrive que l’on parle, on parle en tous les cas de tout autre chose. Un sursaut s’impose, la contre-offensive doit s’organiser. Il nous faut un nouveau plan d’urgence, un plan d’urgence face à la crise. ■

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