Wednesday, April 12, 2006

Justice, enfin le mandat de dépot ne sera plus systématique

C’est une grande décision que le ministre de la Justice a prise la semaine dernière : le placement en mandat de dépôt ne sera plus décidé que dans des cas très graves, plus particulièrement dans le cas où le prévenu représenterait un danger pour l’ordre public. Jusqu’à présent, la mesure a été, en effet, prise quasi-systématiquement par le juge d’instruction dès qu’un quelconque soupçon pèse sur le prévenu. A un certain moment, il était d’ailleurs notoirement reconnu dans le milieu judiciaire que, quelle que soit la nature de l’affaire, les prévenus convoqués au bureau n°… étaient tous reconduits illico à la Maison d’arrêt d’Antanimora aussitôt après leurs auditions.

L’instruction donnée par le ministre Lala Ratsiharovala n’arrive pas trop tôt et doit être saluée à sa juste valeur en remettant le droit dans sa ligne originelle. Désormais, la présomption d’innocence sera la règle et la détention préventive l’exception, indique-t-on, à Faravohitra.

Jusqu’à présent, des milliers et des milliers de nos concitoyens ont souffert injustement de cette pratique de placement en détention prévention dont l’usage est tel qu’elle est soupçonnée, à tort ou à raison, comme l’une des sources de la corruption dans le monde judiciaire.

Dans son rapport 2006, sur les droits de l’homme à Madagascar, le Département d’Etat américain rapporte d’ailleurs qu’« en décembre, le Ministère de la Justice (malgache) a indiqué que 14.185 personnes, ou environ 70 pour cent de la population carcérale, étaient en détention préventive. Le mauvais système d’archives, le manque de ressources, et la difficulté d’accès aux endroits reculés de l’île ont entravé le monitoring des détenus en attente de leur procès. Malgré les protections légales, les détentions préventives ont souvent dépassé un an. Plusieurs détenus ont passé plus de temps en détention préventive que la peine maximale relative aux charges pesant sur eux (…). Les magistrats avaient souvent recours à un instrument appelé mandat de dépôt, par lequel les prévenus étaient détenus avant leur procès ».

Cette situation a été déjà soulevée sinon condamnée par les différentes associations des droits de l’homme et des organisations caritatives qui viennent en aide aux prisonniers. Lors de l’inauguration des locaux abritant l’Ecole nationale de la magistrature et du greffe, l’ambassadeur de l’Union européenne a centré son discours sur les inhumaines conditions carcérales à Madagascar. Après la récente visite du SG de l’ONU, qui est aussi très sensible sur ce genre de situation, la décision courageuse de Mme Ratsiharovala ferait suite aux pressions des bailleurs de fonds qui ne veulent pas mettre leurs sous dans les prisons malgaches préférant financer le développement.

Outre le problème fondamental de droit, l’assouplissement, voire la révision de la pratique du mandat de dépôt, viserait également la décongestion des lieux de détention. D’après le même rapport des Etats-Unis, « les conditions carcérales étaient dures et représentaient un risque pour la survie. Les 99 locaux pénitenciers du pays, prévus accueillir environ 13 000 prisonniers, contenaient 20 294 à la fin de l’année, selon le Ministère de la Justice. La prison d’Ambositra avait une capacité de 80 prisonniers mais en abritait 400. Une fois jugés, les prisonniers étaient tenus de payer un frais de tribunal avant d’obtenir leur jugement. Les prisonniers incapables de payer les frais étaient renvoyés à la prison, ce qui contribuait à la surpopulation. En moyenne, les cellules des prisons disposaient moins de 1 mètre carré par prisonnier, et le régime d’un prisonnier consistait en 100 grammes de manioc ou de riz par jour. Les familles et les organisations non gouvernementales (ONG), dont l’Aumônerie Catholique des Prisons, complétaient les rations journalières des prisonniers. Des chefs religieux et des ONG ont indiqué que le viol était courant dans les prisons et souvent utilisé par les gardes pénitenciers et d’autres prisonniers pour humilier des prisonniers ».

Dans cette double logique de respect du droit par la présomption d’innocence et de décongestion des prisons qui permettrait à l’Etat d’améliorer les conditions carcérales, la liberté sous caution telle qu’elle est appliquée aux Etats-Unis a été d’ailleurs débattue lors de la réunion tenue au ministère de la Justice. Aucune décision n’a été cependant prise face à la délicatesse du sujet : le principe pouvant être interprété, a priori, comme injuste car permet aux riches de se soustraire à la détention par le seul pouvoir de l’argent. Ce sujet fera certainement l’objet d’un grand débat avant une quelconque proposition de décision.

Par contre, il a été rappelé aux différents responsables que le décret portant organisation de la libération conditionnelle est déjà applicable. « La liberté conditionnelle peut être sollicitée par la personne condamnée ou par son conseil ou proposée par le chef d’établissement pénitentiaire (…). « Peuvent bénéficier d’une liberté conditionnelle, les conditions qui satisfont au temps d’épreuve énoncé à l’article 574 aliéna 2 du Code de procédure pénale :

les condamnés ayant accompli 3 mois de leur peine, si celle-ci est inférieure à 6 mois ;

les condamnés ayant accompli la moitié de leur peine, si celle-ci est supérieure à 6 mois ;

les condamnés ayant accompli 6 mois de leur peine, si celle-ci est inférieure à 9 mois lorsqu’ils sont en état de récidive légale ; les condamnés ayant accompli les deux tiers de leur peine, si celle-ci est supérieure à 9 mois lorsqu’ils sont en état de récidive légale ;

les condamnés ayant accompli 15 ans de leur peine, lorsqu’ils ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité ».

Cette disposition devrait permettre de libérer de nombreux prisonniers qui se sont assagis depuis et d’aérer les prisons.

Près du ministère, on précise que ces différentes mesures entrent dans le cadre de la réforme judiciaire. Aucun détail n’a été donné mais sur la seule base du rapport du Département d’Etat américain, il y a encore beaucoup à faire ne serait-ce qu’au niveau de la pratique. On relève par exemple certains passages tels que « bien que la loi stipule que des mandats d’arrêt doivent être obtenus dans tous les cas sauf ceux impliquant des courses-poursuites, des personnes étaient souvent détenues et emprisonnées sur la simple accusation d’une autre personne. Les prévenus jouissent généralement du droit à un avocat et le droit d’être informés des charges pesant contre eux, mais le gouvernement n’assignait un avocat que pour les prévenus indigents faisant face à des peines de plus de cinq ans d’emprisonnement (…) ; bien que la Constitution stipule l’indépendance de la justice, celle-ci était susceptible d’influence de l’exécutif à tous les niveaux et était parfois corrompu (…) ; la loi stipule la présomption d’innocence; pourtant, cette présomption d’innocence était souvent négligée. On n’avait recours au jury que dans les cas de litiges portant sur le travail. Un rapport publié en 2003 par Catholic Relief Services (CRS) a indiqué que les droits d’une personne accusée de crime étaient souvent violés, et qu’il y avait un “large fossé entre les lois ayant servi à protéger les droits de l’accusé et l’application de ces lois.” »

En fait, la réforme n’aboutira pas à la remise en confiance de la population en la justice si les moyens humains, matériels et financiers demeurent insuffisants. Le code de déontologie des magistrats qui a été publié en même temps que le texte sur la liberté conditionnelle, énonce les mesures nécessaires pour la mise en œuvre des principes régissant les devoirs et obligations mis à la charge du magistrat (indépendance, impartialité, intégrité, convenances, égalité devant la loi, compétence et diligence…). Entre l’énoncé et la réalité cependant, il y a parfois un décalage énorme que la réforme doit harmoniser pour harmoniser une justice crédible, pilier de l’Etat de droit.

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